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GRAND'PERE ET LE CERCUEIL


Rédigé le Lundi 13 Novembre 2017 à 08:36 | Lu 293 fois | 0 commentaire(s)

Grand'père et le cercueil


GRAND'PERE ET LE CERCUEIL

Dans le champ de luzerne qui surplombe la route à la sortie du village, grand’père fauche.
 

Il tient dans les mains le manche d’une faux, outil que l’on connaît bien ne  fusse que pour le voir le plus souvent associé au pictogramme de la mort. Grand’père ne se pose pas de questions sur ces considérations métaphysiques, il a besoin de fourrage pour nourrir ses bêtes, il dispose de foin et de luzerne et donc de quoi approvisionner sa grange pour l’hiver. Dans la corne de bœuf qui pend à sa ceinture, baigne la pierre à aiguiser dont il se sert pour donner du fil à sa lame. Il a enfoncé, un peu plus loin dans le sol, l’enclume portative sur laquelle quelques coups de marteau redresseront les déformations dues aux chocs contre les pierres et a mis, sous sa casquette, pour éviter la chaleur, une touffe d’herbe verte qu’il renouvelle de temps en temps.
 

De temps en temps aussi il s’arrête, contemple l’horizon, allume sa pipe… il a soixante-quinze ans, grand’père. Sept années sous les drapeaux dont quatre pendant la Grande Guerre, mais toujours très actif. Le matin son petit déjeuner c’est ‘du solide’ : du jambon, un œuf, voire une assiettée de soupe de la veille, du fromage, un verre de son vin. Avant de partir il aura allumé le feu dans la cheminée et sa pipe avec un tison. On ne peut pas dire que son tabac parfume la maison mais on y est habitué, ça a l’avantage d’éloigner les moustiques !!!. Grand’mère en dispose même quelques feuilles dans le fond de son armoire, c’est un très bon anti-mites
 

Quand il rentrera, aux alentours de midi, il aura, par-ci, par-là, avec sa ‘rustaghja’ (serpe) qui ne le quitte jamais lorsqu’il part à la campagne, rafraîchi le tronc d’un arbre, coupé quelque branche morte puis consolidé un muret en pierres, ou, à la saison, greffé un arbre à l’ancienne c'est-à-dire avec les ‘moyens du bord’ un couteau et un bout de ficelleDans sa musette il rapportera des fruits de saison, pèches, abricots, voire un melon ou des fraises. Le ruisseau qui traverse son jardin est bordé de plants d’artichauts qui sont récoltés très jeunes, de la grosseur d’une noix et préparés en ‘tianu’ par grand’mère ou croqués tels quels sur le chemin du retour. Plus tard dans la saison arrivent les noisettes, les noix, les prunes et les figues qui constitueront les fruits de l’hiver.
 

Ce matin nous n’en sommes pas là. Grand’père fauche, c’est Jeudi et je l’aide à faire ses bottes en lui tendant les brins d’osier qu’il aura préalablement préparés à cet effet.
 

Mais voilà qu’en contrebas, au détour de la route, apparaît un petit camion. C’est un CHENARD & WALKER, celui de l’entreprise B… qui travaille dans la région. On a enlevé la bâche de protection et y ont pris place cinq ou six personnes, assises de part et d’autre d’un… cercueil. Nous sommes en temps de guerre, il faut faire avec les moyens dont on dispose même pour conduire un mort à sa dernière demeure.
 

Arrivé à notre hauteur, un des occupants lève le bras pour saluer grand’père qui répond à son salut par le même geste. Mais voilà que retentit le glas de l’église paroissiale. Grand’père est surpris et sa surprise m’étonne. N’a-t-il pas vu le cercueil sur le camion ? Non, il ne l’a pas vu !!!

Ce qui me vaut une réflexion dont l’intonation tinte encore à mes oreilles : « … tu aurais dû me le dire, au lieu de lever le bras j’aurais enlevé ma casquette… ».

 

On peut sourire de ce comportement respectueux un peu excessif, mais, quand on sait la valeur que représentait la mort pour nos anciens, il n’y a rien à en dire. C’est sacré. Autour d’un deuil, même les plus grandes offenses sont pardonnées. L’occasion est propice aux rabibochages, au rapprochement des familles ou des amis séparés par un malentendu, seule exception : les crimes de sang… mais ceci est une autre histoire…

 

 





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